Les IRP en 2015 : une réforme chasse l'autre et...tout le monde peine à suivre !
L’absence de résultats sur le front de l’emploi fragilise le corps social mais aussi la majorité socialiste, écrivions-nous dans notre bilan de l’année dernière, à la veille du Noël 2014. Un an plus tard, ce constat demeure d’actualité. L’embellie de l’emploi promise par le gouvernement ne s’est pas produite en 2015, en dépit de la poursuite de la politique d’allègement du coût du travail, avec le CICE, le crédit d’impôt compétitivité emploi, et un pacte de responsabilité aux effets toujours insaisissables, y compris pour France Strategie, l'organisme censé les mesurer. Quant au recours massif aux emplois aidés, il ne fait que limiter la hausse du chômage. L’année aura connu en revanche deux épisodes sanglants, Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher en janvier, le Stade de France et le Bataclan en novembre, deux tragédies qui auront permis au chef de l'Etat, au nom du "pacte de sécurité", de s'affranchir de sa promesse de respecter "le pacte de stabilité".
Sur fond de guerre en Syrie et d’exode de réfugiés vers l’Europe, ces attentats, qui ont aussi touché des élus du personnel, ont traumatisé l’opinion et provoqué la mise en place d’un état d’urgence dans tout le pays. Un régime d’exception révisé à chaud par un Parlement quasi unanime, le président Hollande promettant du même coup une révision constitutionnelle qui inquiète certains défenseurs des libertés publiques.
En cette fin 2015, ce besoin de sécurité de l’opinion va de pair avec une exaspération croissante devant l’absence de résultats économiques et sociaux. Une exaspération qui peut exceptionnellement tourner à la révolte sociale. On l’a vu début 2015 dans l'agroalimentaire dans l'Ouest et, à l'automne, chez Air France, en marge d’un CCE consacré à un plan social. Ces violences ont elles-aussi marqué l'opinion, certains observateurs déplorant l'absence en France d'un "dialogue social organisé, méthodique, régulier". Pour l’heure, le mécontentement s’exprime surtout dans les bureaux de vote avec des élections départementales calamiteuses pour le PS, dont le recul a été confirmé en fin d’année par les régionales.
Ce scrutin a vu le FN s’affirmer comme le premier parti politique français du premier tour. Le gouvernement a annoncé au lendemain du second tour des mesures rapides sur l’emploi, sans pour autant dévier de sa ligne. Le Premier ministre a évoqué le 14 décembre un plan massif de formation de chômeurs et des mesures pour l'apprentissage, qui seront précisés en janvier. Il est donc trop tôt pour en mesurer la portée réelle. Mais le calendrier laisse peu de temps à l’exécutif avant la présidentielle de 2017 pour espérer renverser la vapeur. Manuel Valls, qui interprète les résultats électoraux comme une incitation à davantage d’actions et de résultats et non comme une remise en question de sa politique économique et sociale, semble donc tenté d’aller encore plus vite pour imposer de nouvelles réformes touchant au droit du travail.
Le rythme et l’orientation de ces changements, dans lesquels les entreprises ne retrouvent pas forcément la simplification qu'elles demandent, déboussolent nombre d’élus du personnel qui peinent à suivre le rythme.
- En 2013, la loi de sécurisation de l’emploi a révisé les règles du licenciement économique afin d'inciter à la négociation des plans de sauvegarde de l'emploi (PSE) et fixé des délais prefix pour la consultation du CE, dans le but de réduire les contentieux;
- En 2014, la loi sur la formation et la démocratie sociale a imposé la transparence financière aux CE. Les comités d'entreprise doivent obligatoirement se doter d'un règlement intérieur et présenter début 2016 leurs comptes selon leur taille : voir nos articles pour les petits CE, les moyens et les plus importants. Quant au compte personnel de formation (CPF) créé par la loi, ses débuts s'avèrent plutôt laborieux;
- En 2015, la loi sur le dialogue social du 17 août, dite loi Rebsamen, change à nouveau la donne pour les institutions représentatives du personnel, alors même que le 70eme anniversaire du comité d'entreprise est passé relativement inaperçu (voir notre vidéo).
Certes, cette loi, que nous avons résumée ici en une image, n’est pas la révolution escomptée par le patronat. L’idée d’instance unique avancée par le Medef n’a pas pu s’imposer, du fait de l’échec des négociations interprofessionnelles en janvier dernier, un échec survenu en dépit des pressions de l'Elysée. "Nous avons évité le plus grand PSE de l'histoire pour les élus du personnel", commente alors Claire Baillet, juriste chez Alinea.
Consultez ici notre dossier sur la loi Rebsamen ! |
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Mais les changements engendrés par cette loi sont nombreux, qu’il s’agisse :
- de la délégation unique du personnel (DUP) élargie au CHSCT;
- de la possibilité de négocier par accord un regroupement des instances à partir de 300 salariés;
- de la concentration en trois grands blocs de l’information-consultation et des thèmes de négociation;
- des nouvelles modalités de réunion du CE;
- de l'évolution salariale garantie pour certains élus du personnel;
- de la représentation équilibrée entre hommes et femmes que les listes devront respecter à compter de 2017 pour les élections professionnelles, etc.
Nombreux sont ceux qui craignent un affaiblissement du CHSCT et, plus généralement, des moyens dont disposent les élus du personnel dans l'entreprise pour faire entendre aux directions la voix des salariés (lire notre interview de Laurent Milet). Quoi qu'il en soit, il faudra du temps pour que ces nouvelles dispositions, auxquelles élus comme directions doivent se familiariser, commencent à produire quelque effet dans les entreprises (*).
L’un des outils clés de ce nouveau dialogue social, la base de données économiques et sociales (BDES), reste par exemple souvent absent ou insuffisamment renseigné dans les entreprises. A cette loi Rebsamen, il faut ajouter la loi dite Macron. Empiétant largement sur les compétences du ministre du Travail, au grand agacement des syndicats, le ministre de l’Economie a fait adopter sans vote, grâce à l’usage du 49.3, un texte qui élargit les possibilités de travail dominical, révise les procédures prud’homales, le délit d'entrave, les PSE et les accords de maintien dans l’emploi, l'épargne salariale, les professions réglementées; etc. Là encore, bien malin serait celui qui se hasarderait à chiffrer les effets sur l'emploi de cette loi, exception faite des fameuses nouvelles lignes d'autocar. Notons aussi que le Conseil constitutionnel a censuré au mois d'août, pour cause d'inégalité de traitement entre les salariés, le barème plafonnant les indemnités de rupture, ce qui dénote pour le moins un mauvais travail législatif.
Consultez ici notre dossier sur la loi Macron ! |
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Ces nouveautés pas encore assimilées, les élus du personnel devront suivre également la réalisation de plusieurs chantiers annoncés pour 2016 :
- la réforme du droit du travail (avec priorité donnée à l'assouplissement des règles de temps de travail) et de la négociation collective;
- la négociation en vue de dresser les contours du compte personnel d’activité (CPA). Annoncé par François Hollande lors de la conférence sociale d'octobre 2015, ce compte aux contours encore flou et qui serait opérationnel en janvier 2017 est censé regrouper les droits individuels des salariés, qui seraient ainsi mieux à même de prendre en main leur vie professionnelle pour se former et améliorer leurs compétences.
Lire cet article pour comprendre les enjeux d'une réécriture du code du travail |
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Il faut ajouter à ce programme déjà chargé d'autres réformes :
- le regroupement des branches avec une transition qui prendrait 3 ans;
- les modalités de la négociation interprofessionnelle qui devraient être revues;
- une négociation sur le statut de l'encadrement.
Il faudra suivre également le dossier de la reconnaissance de la pénibilité, une des rares avancées sociales de ces dernières années, toujours contestée par les employeurs. Et voir aussi ce que le gouvernement compte faire (sans doute une réécriture de la législation) au sujet du paiement des expertises du CHSCT par les entreprises, remis en cause par le Conseil constitutionnel.
Ces nombreuses réformes, c’est une femme de 37 ans, Myriam El Khomri, qui va les conduire ou les suivre, sous l’œil très attentif de Matignon et de l’Elysée. A l’été 2015, en effet, François Rebsamen, qui n’aura jamais convaincu de son intérêt pour le ministère du Travail, a en effet démissionné pour retrouver sa mairie de Dijon (Côte d'Or). D’autres changements, comme dans le domaine numérique ou le travail indépendant, seront eux impulsés par Emmanuel Macron, sans doute le ministre dont l'influence aura le plus progressé cette année.
Côté syndical, que retenir de l'année 2015 ? Sans doute une banalité : la division des organisations. Tout se passe comme si le fossé s'élargissait entre, d'un côté CGT, SUD et, dans une moindre mesure FO, et de l'autre, CFDT, CFTC, CGC et Unsa, souvent affublés du surnom de "réformistes". Cette division ne permet pas un travail intersyndical unitaire, malgré l'esquisse d'une réflexion commune "sur l'esprit du 11 janvier". Signe de ces divisions : cet engagement commun n'a pas empêché la CGT de publier en novembre un communiqué beaucoup plus incisif dénonçant "un état d'urgence permanent".
Dans ce contexte, chaque syndicat tente d'organiser son plan de bataille pour remporter la nouvelle bataille de la représentativité syndicale de 2017, comme l'ont montré les congrès de :
- la CFTC, où l'on a vu des femmes grimper à la tribune pour manifester leur mécontentement devant l'absence de parité dans les instances de direction et certains élus déplorer un manque de soutien de leur confédération;
- de FO, qui tente, malgré la formule datée de ses congrès en forme de banquet républicain, de mobiliser ses jeunes, une confédération dont la ligne oscille entre propos radicaux (contre la politique d'austérité) et signature de certains accords interprofessionnels (sur le chômage, par exemple, mais pas sur les retraites complémentaires);
- et de l'Unsa, qui a même accueilli un syndicat de chauffeur Uber.
Face à une CFDT très présente sur le plan médiatique, qui affiche de nouveaux services à l'égard de ses adhérents mais qui prend le risque d'apparaître comme très proche du gouvernement en avançant systématiquement l'idée d'un compromis social, la CGT, qui tient son congrès en 2016, paraît pour l'heure toujours affaiblie après l'épisode de la succession ratée de Bernard Thibault. Bien qu'ayant limité ses pertes de voix à la SNCF par exemple, la CGT semble jouer sa place de premier syndicat français alors qu'elle fête ses 120 ans en 2015.
Après sa nomination, Philippe Martinez, le nouveau secrétaire général de la CGT, a opté pour un ton assez radical afin de rassembler son organisation et ses militants. Mais la confédération ne semble pas pouvoir peser sur les choix du gouvernement ni sur le déroulement des négociations interprofessionnelles. Quant à la CFE-CGC, elle termine l'année sur une grande incertitude : il n'est pas certain que Carole Couvert puisse briguer un nouveau mandat de présidente lors du congrès de juin 2016. Signalons enfin l'impuissance de la confédération européenne des syndicats (CES), dont le congrès s'est tenu à Paris en octobre, à combattre la politique d'austérité de la commission européenne et ses projets libéralisant le droit du travail.
L'année qui vient, prélude à l'élection présidentielle de 2017, pourrait cependant être cruciale pour des organisations souvent montrées du doigt au nom de l'emploi ou de la compétitivité (voir le contournement des syndicats opéré par la direction de Smart pour imposer une augmentation du temps de travail) et que les politiques menacent de contourner via des négociations renforcées au niveau de l'entreprise ou avec la fin du monopole de présentation des candidats au premier tour des élections professionnelles. Cette dernière idée figure figure dans le programme du FN comme dans celui des Républicains.
Ajoutons que, à l'instar des politiques, les organisations syndicales sont elles-mêmes confrontées à la grogne des salariés, du fait de l'absence de résultats qu'elles peuvent leur apporter, avec des NAO souvent décevantes, des accords collectifs souvent défensifs (comme l'accord sur les régimes de retraite complémentaire), quand ces résultats (généralisation de la complémentaire santé avec l'accord de sécurisation de l'emploi) ne sont pas ensuite contestés par le patronat, appliqués a minima, voire remis en question par les politiques, comme on l'a vu pour le compte pénibilité.
Petite "autopromo" pour finir : un coup d'oeil dans le rétro de 2015 ne serait pas complet sans évoquer ici la nouvelle maquette de notre journal en ligne. Lancée le 9 juillet, elle offre une meilleure présentation de nos articles, dossiers et vidéos, et nous espérons qu'elle vous satisfait. Joyeux Noël !
(*) En décembre 2014, nous regrettions que l'Etat attende le dernier moment pour publier des décrets importants. Il en va de même cette année avec les textes d'application de la loi Rebsamen !