L'étude de Technologia, cabinet d'expertise auprès des CHSCT, sur les lanceurs d'alerte, ne pouvait mieux tomber, si l'on peut dire, compte-tenu du retentissement mondial provoqué par l'affaire Volkswagen ou encore de la condamnation, prononcée vendredi 4 décembre par le tribunal correctionnel d'Annecy, d'un ancien salarié de Tefal jugé coupable d'avoir communiqué des documents sur son employeur. Ce travail s'appuie à la fois sur un sondage réalisé auprès de 1 000 salariés et sur des entretiens qualitatifs avec des salariés qui ont été amenés à devenir des lanceurs d'alerte (*).
Définition |
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Le lanceur d'alerte désigne une personne qui décide de rendre publique, ou de diffuser de bonne foi, une information concernant une donnée ou une action illégale d'une entreprise qui fait courir un risque sur la santé publique, l'économie ou l'environnement. |
Cette étude montre qu'en dépit de nombreux signes attestant de la réalité de problèmes de non respect de la réglementation et/ou de conflits éthiques dans l'entreprise, les salariés continuent en majorité à faire confiance à leur propre hiérarchie pour régler les problèmes. Ce sentiment se nourrit aussi d'un vide : il n'existe pas, selon plus de la moitié des salariés interrogés, de procédure d'alerte dans leur entreprise, c'est à dire de procédure spécifique à même de faire remonter des dysfonctionnements sans que cela entraîne de sanctions pour celui qui en fait part. En l'absence de procédure, les salariés témoins de situation problématique ont tendance à en parler à leur collègue et à leur supérieur, avant même le syndicat, le médecin du travail ou le représentant du personnel, comme le montre le schéma ci-dessous.
Ce recours aux collègues et aux supérieurs en cas de problème n'offre pas de réelle solution, selon le cabinet Technologia qui cite des lanceurs d'alerte ayant vu leur entourage professionnel les éviter à la cantine, certains subissant des appels anonymes "explicites" visant des membres de leur famille. "Une fois l'alerte lancée, les intérêts en jeu pour ces collègues et supérieurs hiérarchiques font qu'ils ne soutiennent pas nécessairement leur collègue ou leur collaborateur lanceur d'alerte", constate le cabinet. Ce dernier oppose la réalité vécue par les lanceurs d'alerte, parfois mis au placard voire licenciés par leur entreprise, et la confiance des salariés, certains s'estimant protégés par leurs collègues, les syndicats ou les élus du personnel, seuls 36% des salariés disant avoir peur des conséquences ou de représailles en cas de dénonciation d'une situation anormale.
C'est un paradoxe : les salariés se sentent relativement protégés alors même qu'ils sont nombreux à constater des problèmes. Selon Technologia, plus d'un tiers des salariés interrogés ont constaté des décisions et pratiques contrevenant à la loi, au code du travail ou aux règles de leur profession. Le premier thème cité par ces salariés concerne le non respect de la sécurité, comme on le voit ci-après :
Par ailleurs, 26% des salariés ont déjà été incités par leurs supérieurs ou leurs collègues à enfreindre un règlement ou la loi. 53% des salariés français sont en situation de conflit éthique pour avoir observé des décisions et des pratiques qui vont à l'encontre de leurs valeurs personnelles. Autre enseignement de l'étude : la législation protégeant les lanceurs d'alerte, jugée d'ailleurs insuffisante par le cabinet Technologia qui souhaite "la mise en place de procédures claires et de canaux d'alerte respectant mieux la confidentialité des lanceurs d'alerte", (lire notre encadré), est largement méconnue des salariés (85% l'ignorent). En revanche, les salariés disent s'adresser d'abord aux représentants du personnel, au CHSCT et à la médecine du travail en cas de conflits éthiques et souffrance au travail, comme on le voit ci-dessous.
(*) Données collectées sur la base d'un sondage en ligne du 29 mai au 8 juin 2015 auprès d'un échantillon de 1 006 individus représentatifs de la population salariale en France métropolitaine.
La loi protège les lanceurs d'alerte sur l'environnement et la fraude fiscale |
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La loi du 16 avril 2013, dite loi Blandin, est la première tentative en droit français d'offrir un cadre protecteur pour les lanceurs d'alerte, après le scandale sanitaire du Mediator. "Le travailleur alerte immédiatement l'employeur s'il estime, de bonne foi, que les produits ou procédés de fabrication utilisés ou mis en oeuvre par l'établissement font peser un risque grave sur la santé publique ou l'environnement", dit l'article L4133-1 du code du travail. L'alerte du salarié auprès de l'employeur doit être communiquée au CHSCT (art. L4133-4) et consignée par écrit, l'employeur devant informer le salarié de la suite qu'il donne au problème. Cette alerte peut aussi être donnée par un membre du CHSCT saisi par un travailleur (art. L4133-2). En l'absence de réaction de l'employeur, ou en cas de divergence, le salarié comme le membre du CHSCT peut saisir le représentant de l'Etat dans le département (art. L4133-3). Le salarié qui lance une alerte en application de ces textes bénéficie d'une certaine protection, définie par l'article L1351-1 du code de santé publique. Le travailleur qui a relaté ou témoigné, de bonne foi, de l'existence de fait concernant un risque grave pour la santé publique ou l'environnement ne peut pas être écarté d'une procédure de recrutement ou de formation et il ne peut pas faire l'objet d'une mesure discriminatoire, "notamment en matière de rémunération, de traitement, de formation, de reclassement, d'affectation (...)". C'est à l'employeur, le cas échéant, de prouver au juge que sa décision de sanctionner le salarié est justifiée "par des éléments étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé". La loi du 6 décembre 2013 sur la lutte contre la fraude fiscale a étendu la protection des lanceurs d'alerte à la fraude fiscale. Selon le nouvel article du code du travail L1132-3-3, "aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte" au motif "qu'il a relaté, ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions". |