Les journalistes ignorent les outils de prévention des risques et de la pénibilité
Rythmes de travail accélérés, plus grande charge de travail, manque de temps de récupération, accroissement de la précarité, peur du chômage : les conditions d'exercice du métier de journaliste (voir notre encadré) paraissent très dégradées à la lecture de l'étude réalisée par le cabinet Technologia, spécialisé dans le conseil et l'expertise auprès des CHSCT, avec le concours du SNJ, le syndicat national des journalistes (*). Les journalistes, qui sont 64% à penser que leur vie professionnelle a une influence négative sur leur santé avec un sentiment croissant de stress, auraient donc des raisons particulières de s'intéresser à la vie de leur propre entreprise, s'agissant des outils mis en place pour prévenir les risques professionnels par exemple.
Las ! Le bilan dressé par Technologia est plutôt accablant pour la profession. Alors que le travail de nuit occasionnel concerne près de la moitié des journalistes interrogés, près d'un tiers d'entre-eux ignorent si leur entreprise a mis ou non en place un compte personnel de prévention de la pénibilité (voir le schéma ci-dessous). Dans la radio publique, alors qu'un quart des effectifs travaille de nuit, 60% des journalistes ignorent s'il y a un compte pénibilité. La presse écrite se distingue par son ignorance : seuls 1% des répondants assurent qu'il existe un compte pénibilité chez eux, alors que 9% des journalistes de presse écrite travaillent régulièrement la nuit et 35% occasionnellement. "Il y a là matière à s'interroger pour tous les partenaires sociaux du monde des médias, élus, membres des CHSCT, DRH et dirigeants des groupes", en déduit Technologia. On pourrait aussi ajouter que c'est plutôt alarmant de la part d'une profession censée informer, entre autres sujets, la population sur ce type d'informations...
De façon plus générale, l'évaluation des risques professionnels reste une grande inconnue dans le secteur des médias. Et cette méconnaissance touche tous les secteurs et toutes les tailles d'entreprise. Ainsi, comme le montre le schéma ci-après, près de la moitié des journalistes ayant rempli le questionnaire de Technologia ne savent pas si une évaluation des risques professionnels a été faite dans leur entreprise, 28% sont certains que non et 6% pensent n'être pas concernés.
"Pourtant, rappelle le cabinet, la loi impose une telle évaluation, à travers le document unique prévu par les articles R4121-3 à 3 du code du travail". Quant à ceux des journalistes qui savent qu'une évaluation des risques a été effectuée, pour 59% d'entre eux, "ces évaluations n'ont servi à rien". Commentaire de Technologia : "Est-ce la réalité ? Est-ce là le résultat d'une insuffisance de communication ? Là encore, il y a matière à interrogation pour les élus (notamment des CHSCT) et les responsables des DRH de ces entreprises".
Les résultats sont encore plus saisissants s'agissant de la BDES, la base de données économiques et sociales (BDES) qui regroupe toutes les informations que l'entreprise doit mettre à la disposition de ses représentants du personnel. Selon l'étude, 94% des journalistes ignorent s'il existe ou non une BDES dans leur entreprise (100% des journalistes l'ignorent même dans les radios privées !). Ce résultat n'est toutefois pas surprenant au vu du peu d'empressement des entreprises et des élus à se saisir de cet outil, pourtant obligatoire, comme le rappelle le schéma suivant de Technologia.
Enfin, signalons parmi les multiples enseignements de l'étude que seuls 12% des journalistes disent avoir une fiche de poste, c'est à dire un descriptif précis de leurs missions professionnelles, ce qui explique sans doute pour partie le flou entourant dans la profession la notion de "polyvalence" de plus en plus exigée par ailleurs dans les entreprises.
(*) Cette enquête, conduite entre juin et juillet 2015 sur la base d'un questionnaire détaillé, repose sur 1 135 réponses exploitables (dont 53% de femmes) reçues de journalistes, exerçant leur métier dans la presse écrite, dans un site internet d'information, à la télévision, à la radio, dans une agence de presse. Technologia avait réalisé le même type de travail en 2011.
49% des journalistes jugent insuffisant leur temps de récupération |
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- 46% seulement des journalistes de moins de 30 ans ont un CDI; - 12% des journalistes vivent un temps partiel contraint, contre 8% en 2011; - 60% travaillent plus de 8 heures par jour dont près de 20% au-delà de 10 heures; - 49% jugent leurs temps de récupération insuffisants; - 81% disent devoir travailler plus vite (contre 72% il y a 5 ans) du fait d'abord d'un manque d'effectif (67% des réponses), d'une augmentation du nombre de supports à alimenter (62%), d'un manque de moyens (52%), du développement de l'info en continu (47%), etc; - 78% jugent que le numérique a changé leur façon de travailler; - 58% possèdent un compte dans un réseau social pour leur métier (seulement 42% à la télévision et 83% dans les radios privées); - 81% estiment que le stress fait partie intégrante de leur métier; - Une majorité de journalistes estime que la conférence de rédaction n'est pas un lieu de débat; - 89% se sentent libres de proposer un sujet à leur hiérarchie; - 77% des journalistes ont le sentiment de bien faire leur travail; - 48% ont eu peur de perdre leur emploi lors des 5 dernières années; - 34% sont à la recherche d'un nouvel emploi. |